Huitième journée d’étude ModerNum
26 mai 2023
Accéder au formulaire d’inscription
Argumentaire
L’enchaînement actuel des crises (biologiques, climatiques, épidémiques, migratoires, socio-économiques, politiques…) et des catastrophes (inondations, incendies, guerre…) ainsi que leur hyper médiatisation permise par l’internet et les réseaux sociaux constituent un défi adressé à l’histoire. La question qu’elles posent est la suivante : que peuvent apporter les disciplines qui s’intéressent au passé à l’intelligence des bouleversements dont nos sociétés font l’expérience et dont le caractère inédit est reconnu scientifiquement ? Aujourd’hui, nombre de chercheuses et chercheurs en histoire, histoire de l’art, musicologie, philosophie ou littérature prennent ainsi part aux explications concernant l’économie générale et les dynamiques des crises actuelles, en ayant recours à leurs propres outils méthodologiques et épistémologiques.
C’est à cette réflexion que ModerNum (Réseau des modernistes francophones de Belgique – Groupe de contact F.R.S.-FNRS) souhaite consacrer sa journée d’étude annuelle en 2023. L’objectif de cette huitième rencontre est double. Premièrement, il s’agira d’analyser comment nos disciplines s’emparent des phénomènes de crises et de catastrophes qui traversent l’époque moderne (fin du xve-début du xixe siècle), en s’intéressant, selon différentes échelles d’analyse, aux moments de ruptures, aux conflits de haute et basse intensité, aux basculements et aux bouleversements comme autant d’expériences historiques productrices de sens, de théories, d’institutions, de pratiques et de fixation de seuils anthropologiques nouveaux. Deuxièmement, il s’agira de se demander comment l’étude des crises et des catastrophes de l’époque moderne permet d’éclairer les phénomènes de transformation de notre époque.
Phénomènes modernes
Si crises et catastrophes diffèrent en bien des aspects, elles ont néanmoins en commun de convoquer celles et ceux qui les subissent dans un espace du danger, de l’incertitude, de la confusion ou de la souffrance. La dialectique de l’ordre et du désordre ne peut toutefois restituer seule leur complète économie. En effet, les moments de conflits et de chaos dont la récurrence forme la trame de l’époque moderne sont paradoxalement des moments de défis adressés aux sociétés et aux pouvoirs engagés dans ces épisodes. Sous la pression de puissants facteurs combinés, les crises permettent ainsi des changements de nature historique et anthropologique. Lors des crises, définies comme leviers de basculement d’un état sociopolitique à un autre, les acteurs individuels et collectifs doivent construire du sens et inventer de nouvelles règles du jeu afin tantôt de se maintenir au pouvoir, tantôt de gagner de nouvelles positions, tantôt de survivre au changement. La forge de ces nouvelles règles occasionne alors l’élaboration de discours et de pratiques qui sont autant d’éléments de recompositions dont l’analyse historique peut se saisir.
En outre, les études – toujours plus nombreuses – consacrées aux catastrophes climatiques (tempêtes, inondations, avalanches, tremblements de terre, éruptions volcaniques, hivers rudes, sécheresses…), aux épidémies ou aux pollutions industrielles à l’époque moderne portent leurs regards sur les causes et conséquences de ces phénomènes, sur les sociétés et les individus qui en font l’expérience ainsi que sur les représentations qui sont façonnées en retour. Comment ces événements subis sont-ils interprétés et gérés ? Comment les pouvoirs religieux et civils les médiatisent-ils et les exploitent-ils ? Quelles sont par ailleurs les formes et stratégies esthétiques mises en œuvre dans la littérature, les arts et les médias, et visant à rendre raison de ces événements autant qu’à les surmonter ? À quel point sont-ils embrigadés dans les processus de construction identitaire, de discrimination et de haine de l’autre, notamment en situation de conflit civil ou de guerre entre États ? La recherche démontre ainsi l’importance de la révolution de l’écrit puis de l’imprimé pour la médiatisation des catastrophes et la capacité de construire à leur sujet un savoir à la fois localement ancré et souvent pensé à l’échelle régionale ou globale, dans un contexte culturel où le monde peut être perçu comme une création divine unifiée. Elle met en outre l’accent sur la pluralité des sens donnés aux catastrophes advenues et à leurs associations complexes. À côté de la colère de Dieu, dont l’instrumentalisation par les pouvoirs est régulière et commode, la déforestation ou les pluies trop abondantes sont par exemple invoquées pour expliquer des catastrophes climatiques comme les inondations. Dans ce cadre, le tremblement de terre de Lisbonne, en 1755, et sa prise en charge discursive par Voltaire constituent un tournant dans la laïcisation partielle des savoirs sur les catastrophes et dans leur médiatisation à large échelle. Ces quelques exemples ne sauraient épuiser la richesse des approches que l’histoire culturelle des crises et des catastrophes autorise.
Regards contemporains
Le xxie siècle semble se caractériser jusqu’à présent par une succession de crises (crise financière de 2008-2009, effets du changement climatique, crise de la démocratie parlementaire, pandémie, conflits géopolitiques de haute intensité, etc.) à tel point que la crise, émaillée de catastrophes, serait devenue par défaut le prisme à travers lequel chacun·e expérimente son rapport au monde. La globalisation des effets de ces crises sous-tendue par l’immédiateté de ceux-ci ne fait qu’accroître le sentiment généralisé que nous vivons un moment de bascule à divers niveaux. Cette huitième journée d’étude du réseau ModerNum entend soulever plusieurs questions relatives à ces enjeux contemporains du rapport aux crises et catastrophes : comment les recherches sur les crises et les catastrophes de l’époque moderne autorisent-elles les modernistes à participer à la compréhension et à l’analyse des changements actuels ? À quel point le recours aux outils méthodologiques et aux référents épistémologiques des sciences humaines et sociales est-il pertinent ? Qu’est-ce que les catastrophes de l’époque moderne et leurs modes de gestion peuvent enseigner/dire aux sociétés du xxie siècle ? Comment les œuvres artistiques et littéraires de cette époque inspirent-elles les artistes actuel·les : quelles formes de reprises ou de réécritures pouvons-nous observer ? Quel rôle a joué l’époque moderne dans l’élaboration d’un discours spécifique sur les catastrophes (catastrophisme) ? À quel point, enfin, l’étude du passé permet-elle d’interroger de manière critique les projections de la collapsologie, en redonnant de l’épaisseur historique aux catastrophes actuelles et en faisant l’archéologie ou la généalogie des discours employés au présent pour dire la crise et ses remèdes ?
Programme
10h : Accueil
10h30 : Mot d’accueil et introduction à la journée : Annick Delfosse, Colin Dupont, Julien Régibeau
Session 1 : Phénomènes modernes
10h45 – 12h30
Présidence de séance : Marie Kervyn
Alexis WILKIN (Université Libre de Bruxelles) : Crises et résilience. Intérêt et limites des concepts. Le regard d’un médiéviste
Jean-Baptiste FRESSOZ (EHESS-CRH Paris-CNRS) Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècles
Isabelle PARMENTIER (Université de Namur) et Julie DUCHENE (FNRS-Université de Namur) : Le problème de la prédictibilité des éruptions volcaniques. L’exemple du Taal aux Philippines, à la croisée de l’Histoire et de la Géologie
Discussion
12h30 : Lunch
Session 2 : Regards contemporains
14h – 15h45
Présidence de séance : Valérie Leyh
Louise DUMONT (Université de Namur) et Asseline SEL (FNRS-Université de Namur) : Shakespeare ad nauseam : L’argument shakespearien dans les discours de crise de la modernité
Julie DUCHENE (FNRS-Université de Namur): Anticiper le conflit : l’histoire, un outil pour réapprendre à vivre avec le loup dans le cadre du Plan Loup
Manuel CERVERA-MARZAL (FNRS-ULiège) : Une crise de la représentation politique, vraiment ?
Discussion
Informations pratiques
Lieu : KBR, salle Panorama (6e étage)
Date : 26 mai 2023
Inscription via le formulaire en ligne
Comité organisateur : Jules Dejonckheere, Annick Delfosse, Colin Dupont, Nicolas Duriau, Jérémie Ferrer-Bartomeu, Valérie Leyh, Julien Régibeau
Comité scientifique : Jules Dejonckheere, Annick Delfosse, Colin Dupont, Nicolas Duriau, Laure Fagnart, Jérémie Ferrer-Bartomeu, Mathilde Kaisin, Marie Kervyn de Meerendré, Valérie Leyh, Julien Régibeau, Nicolas Simon